MÁTÉTELKI
HOLLÓ Magdolna
École Supérieure
des Officiers de Police de Budapest
Tendances analogues de création dans l’argot pénitentiaire
français et hongrois
1. Introduction
L’idée de
cette étude comparative m’est venue en observant que certains termes semblent
faire partie d’une „langue internationale” de l’argot: au cours de mes recherches portant sur
l’argot des criminels français,
qui m’ont conduit à l’examen d’un argot spécialisé, j’ai pu constater que
quelques termes se retrouvent à la fois dans l’argot criminel français et
hongrois, et que certains de ces termes, d’origine tsigane, peuvent même être
considérés comme internationaux, comme p. ex. le terme
čor „voleur”, čorav „je vole” donnant
en français
chour/av/er et csór, csór/el,
csur/el en hongrois, qui se trouve d’ailleurs dans l'argot serbe aussi:
čorišem „je vole”, ainsi que le terme lovo, pl.
loveà lové/s en français
donnant le mot argotique hongrois lóvé
dans le sens de l’argent, de plus
farslóvé „fausse monnaie” avec une
compositition hybride allemand et romani.
Poursuivant
ces recherches j'ai trouvé encore d’autres correspondances, en particulier
dans l’argot carcéral et dans celui des toxicomanes, langages informels
particuliers les plus typiques sans doute de la pègre, partout dans le monde. Il y a des termes français qui sont
utilisés dans l’argot carcéral hongrois, soit gardant leur forme française
originale sans modification:
bijoux=bizsu pour l’argent et le
faux or, enculé=ankülé et
pédé=pedé pour l’homosexuel,
bâton= baton pour le
surveillant, soit sous leur forme calquée: hôtel=szálloda pour la prison, matière=anyag pour la drogue, aller au frais=hüvösre kerül pour
„aller en prison”, etc.
En
observant ces correspondances l’étude des ressemblances entre l’argot hongrois
et français m’a paru pertinente.
Dans ce qui
suit, je vais donner un bref tour d’horizon de l’argot des taulards et des
toxicomanes français et hongrois, puisque l’étude de ces lexiques révèle des tendances analogues de
création qui pourraient bien être généralisées dans d’autres langues
également, vu les caractéristiques similaires dûs au même mode de vie,
à la même motivation des
créateurs: dans toutes les sociétés l’argot des malfaiteurs reflète
indirectement les moeurs et les conditions de vie des hors-la-loi, une forme
de sous-culture, une mentalité et une conception de l’existence particulières.
Les voyous choisissant souvent de vivre en marge de la société, utilisent ces
sociolectes dans des micro-sociétés, dans un monde un peu clos. Leur langage
évolue à un rythme particulièrement rapide, du fait qu’il est trop vite
dévoilé par les non-initiés, en premier lieu par les policiers et les
surveillants de prison. En conséquence les usagers de cette mouvance
langagière sont contraints de „recrypter” immédiatement leur langage au rythme
du bouillonnement de la société, de la civilisation en pleine transformation.
Les
criminels essayent de se jouer des policiers et des surveillants de prison en
déguisant leur langage, ainsi ceux qui ont la mission de faire respecter la
loi ont tout intérêt à
prendre connaissance du vocabulaire de ceux qui ont choisi de l’enfreindre.
Pour ces premiers c’est aussi une question de prestige: les policiers et les surveillants
„bilingues” parlant l’argot des voyous ont moins de chances d’être déroutés
par les malfaiteurs. C’est pour cela que la maîtrise du langage de ces groupes
déviants prend de l’importance au sein de la police et des services
pénitentiaires, et on comprend alors tout l’intérêt du recours à un vocabulaire d’initiés.
2. L’argot
carcéral
La population carcérale se caractérise en France par
une circulation annuelle d’environ 80 000 personnes. Ce chiffre est
proportionnellement plus élevé, par rapport à la population totale, que celui
enregistré en Hongrie où on a 17.000 détenus en moyenne. Ces individus sont
généralement âgés de moins de trente ans, et restent en prison six mois en
général, et le motif de leur incarcération est en grande partie lié aux
stupéfiants.
Ces détenus arrivent et repartent avec leur propre
langage -argotique ou non- sans que leur passage n’ait d’influence réelle sur
l’argot carcéral. La prison génère son propre argot qui recouvre des réalités
qui lui sont spécifiques: ce sont les invariants carcéraux, qui ne s’utilisent
que là, dans ce monde clos et hiérarchique. Elle est aussi lieu de rencontre
entre les argots des différents milieux: argot des braqueurs, des proxénètes,
de la drogue, etc.., lieu de rencontre entre les délinquants de différentes
régions. C’est ce foisonnement lexical qui confère la vigueur au phénomène.
Certains termes perdureront contre toute attente alors que d’autres
disparaîtront avec leurs locuteurs, cédant la place à de nouvelles créations.
En effet, dans un lieu où la langue est le seul espace de liberté que possède
chacun, sans avoir à souffrir des contraintes dictées par le milieu, il est à
gager que la créativité s’imposera.
La situation d’utilisation, la population concernée,
la thématique abordée et les procédés employés sont autant de critères de
reconnaissance pertinents et homogènes de l’argot de prison. Quant aux
fonctions, elles ne sont jamais uniques, mais c’est l’intrication entre le
ludique, le cryptique et le conniventiel qui favorise la préservation du
dynamisme créatif d’un langage, dont l’un des moteurs essentiels est, pour les
marginaux qui l’emploient, le rejet des normes et l’agressivité à l’encontre
d’un environnement social dont ils sont exclus. On insistera également sur le
caractère fluide, volatile du produit lexical argotique qui, s’il restait
immuable, perdrait de son pouvoir cryptique.
Les détenus parlent argot pour ne pas être compris,
mais aussi, par plaisir, par jeu, pour s’amuser, pour essayer de mettre
l’autre en défaut et tester ses capacités de réaction, ne négligeant aucune
occasion de se livrer à leur amusement en présence de tiers indésirables. Ces
manifestations lexicales qu’opère et comprend la majorité de la population
carcérale représentent une manifestation idiolectale limitée, voire un
sociolecte ne fonctionnant que dans un groupe restreint.
3. Tendances de formation lexicale
argotique
Les plus anciens lexiques de l’argot montrent
qu’à l’origine l’argotier cachait presque toujours les mots sous des
changements de sens, ainsi on constate que la fonction première des mots
argotiques est de masquer le sens, de limiter la communication au cercle des
initiés. L’argot est donc nécessairement - ce qui n’est pas le cas pour un
dialecte ou un patois- un
instrument de communication secondaire, parasitaire, qui suppose le maniement
de la langue commune. Les substitutions de sens cryptologiques ne s’écartent
pas, en apparence, des formes ordinaires de la langue claire. L’argotier forme
des mots par métaphore, synecdoque, métonymie, emprunts, résurgences, ainsi
que par dérivation, composition, troncation, etc., et il est souvent difficile
de démêler si on a affaire à une création technique, à une forme expressive ou à un mot secret:
les trois fonctions se chevauchent et se
confondent.
Il y a deux façons d’opérer pour parvenir à ce
but: changer le sens d’une forme connue en jouant sur le signifié (p.ex.
herbe=fű pour la drogue), et masquer la forme par un procédé
quelconque jouant sur le signifiant
(p.ex. la troncation de la cocaïne coc=kok), c’est-à-dire que soit on change le sens des mots, soit
leur forme.
3.1. Procédés sémantiques de création argotique dans l’argot de prison
Le vocabulaire de l’argot comporte donc en
effet deux aspects: la création lexicale proprement dite et l’utilisation
détournée de termes déjà existants par transpositions sémantiques et
formelles. S’y ajoutent encore les emprunts, les résurgences du vieil argot,
et les séries synonymiques, bien sûr.
Pour ce qui est du signifié, le procédé
essentiel de la création cryptologique est le remplacement d’un terme
ordinaire par un terme figuré récurrent de la métonymie et de la métaphore. Ce
premier indique une caractéristique permanente, intrinsèque de l’être ou de la
chose qualifiés, il consiste à désigner une chose par l’une de ses qualités,
l’un de ses aspects conçu comme permanent et essentiel (bleu pour le policier d’après
l’uniforme correspondant au terme hongrois
fakabát „manteau de bois”,
casser pour „cambrioler” qui
correspond au terme hongrois de langue standard
betörni,
pétard=petárda et villámlóbot „bâton foudroyant” en hogrois pour le pistolet,
bracelets=karkötő, karperec pour les
menottes, laisse=póráz pour les chaînes).
La métaphore, quant à elle, fonctionne par
similarité de sens (blé de la série
synonymique où le pain est l’équivalent de l’argent, vu que le français argotique connaît un système monétaire
largement métaphorique relative à la nourriture (oseille, galette, biscuit, couscous,
artichaud,bifteck, caviar, etc., en fonction de l’agmentation du niveau de
vie…), qui correspond dans l’argot hongrois aux termes
lecsó „ratatouille” et
lekvár „confiture”. Ces deux items
ont une signification différente dans le langage des toxicomanes: la
confiture veut dire un stupéfiant
contenant un mélange de haschisch et de miel, tandis que le terme hongrois
lecsó „ratatouille” signifie le LSD.
Il est à remarquer que dans l’argot hongrois
la notion de l’argent est surtout liée aux biens de consommation, en
particulier au tabac dohány et le
terme dohány/árú „tabac”, „produits
de tabac” signifie, en prison et dans l’entourage linguistique des
toxicomanes, toutes sortes de cigarettes, y compris celles contenant du
marijuana ou du haschisch. Il faut mentionner également que l’équivalent
argotique du terme français désignant l’argent comptant, le liquide,
correspond littéralement au terme hongrois argotique
lé „liquide”.
Certains verbes ou expressions argotiques
français, imagés et détournés de leur signification première, ont leurs
équivalents hongrois, comme tomber=
elesik, chuter= lebukik, megzuhan
„faire une chute” pour échouer,
rappellant directement la chute du malfaiteur, ainsi que
mettre à table=kiteszi az asztalra
et cracher=beköp pour „faire des
dénonciations devant la police”.
Dans l’activité linguistique des détenus, tous les
procédés s’entremêlent pour aboutir à un argot difficilement compréhensible de
l’extérieur. De plus, le débit, le rythme, l’intonation dont il est difficile
de rendre compte à travers l’écrit, participent également à la mise en place
de cette façon de dire. Le surveillant ou le
primaire (le primo-condamné)=elsőbálos „les débutants du bal”, ou frisshús „de la chair fraîche” doivent
comprendre dans l’instant, ils n’ont pas de recours possible à un texte écrit.
Dans le vocabulaire employé par les voyous, une
série de transpositions métaphoriques animalières est remarquable dans le hongrois pour désigner les surveillants:
pitbull, pulyka „dinde”,
szürkepatkány „rat gris”,
medve „ours”,
papagáj „perroquet”, disznó
„cochon”, botcsótány „cafard à
bâton”, kutya „chien, coyote”,
majom „singe”,
csótány „cafard” (il faut mentionner que le symbole de cet animal
désigne, entre autres, l’indicateur de police dans l’argot français), ainsi que
patásördög „diable à pattes”,
duplaszem „quelqu’un qui a des yeux
partout”, gályahajcsár
„garde-chiourme”.
Ce phénomène apparaît dans le français aussi où on a
une centaine de termes métaphoriques pour le policier, comme p.ex.:
volaille, poule,
poulet qui picore les grains comme
le policier les renseigements, qui siffle comme le
serpent, et qui est
omniprésent sur la voie publique comme le piaf, etc.), mais pour le surveillant,
c’est à dire pour le maton il n’y
a que quelques occurences argotiques avec des noms animaliers, surtout ceux
des animaux portant des pinces, comme le
crabe (tout comme le maton qui
porte des menottes, des pinces en
argot), ou ayant des griffes, comme le
chat ou tout simplement le mot
griffe (venant du greffier)
correspondant à peu près aux termes d’oiseau hongrois
dögkeselyű „vautour néophron”
hongrois ou au terme gyalogkakukk
„coucou pédestre” (qui veut dire „coureur de route” d’après la BD américaine „road runner”). Dans
les deux langues, les détenus appellent plus récemment le surveillant qui fait
sa ronde régulièrement avec son énorme trousseau de clés et sa matraque:
porte-clés=kulcsos, ou avec un jeu
de mot hongrois kulcsár „intendant”,
ainsi que bâton=baton et
rondier= körbejáró „rondeur”.
Le lexique qui évolue autour du concept de prison et
d’emprisonnement est très prolifique dans les deux langues. Dans le hongrois
argotique nous avons: óvóhely
„abri”, zebraól „taudis de zèbre”, barak „baraque”, láger „camp de prisonniers”, gettó „ghetto”,
szénbánya „mine de charbon”,
pulykaól „volière à dinde”, tyúkól „poulailler”, állatkert
„zoo”.
Nous ne pouvons pas laisser de côté les mots
euphémiques évitant de nommer directement la prison, devenu tabou „de
l’intérieur”. Ce procédé d’adoucir un mot, substituant le nom tabouisé,
l’utilisation des codes pour cacher la crudité d’une notion, est un phénomène sociolinguistique fréquent.
En France, au lieu de dire „on est en prison” on dit plutôt qu’on est
à la clinique ou à l’hôpital, tandis qu’en Hongrie on
est au sanatorium „szanatórium”.
Nous avons de nombreuses appellations euphémiques pour la prison ou pour
certaines parties de la prison: ház
„maison”, rezidencia „résidence” lakosztály „appartement de luxe”, fehérház „maison blanche”, ketrecesház „maison à grilles”, zebrakastély „château de zèbres”, palota „chateau”, álomkastély „château de rêve”, szálloda „hôtel”,
rácsosszálló „hôtel à
grilles”, fitneszszalon „salon de
fitness”, hodály „grande pièce lugubre”, ainsi que le
détenu egyetemista „l’étudiant”, qui
habite au foyer d’étudiants „kollégium”,
passe son temps à l’académie à grilles „rácsosakadémia”, et à l’université à grilles
„rácsosegyetem”, et de temps en temps
passe ses jours, en guise de punition spéciale en raison de son comportement
inacceptable, au quartier „elitnegyed”, dans le quartier
disciplinaire, dans une zone particulièrement surveillée. Il faut remarquer que les termes argotiques
hongrois relatifs aux études fictives des détenus n’ont pas d’équivalent en
français.
Dans l’argot carcéral français et hongrois nous
avons également une direction sémantique des noms de la prison qui fait
référence à l’enfermement de l’animal et aux petites dimensions:
cage=kalitka,
cabane=
kuckó, kóter,
ratière, souricière=egeres (c’est-à-dire le piège à rats), et les
termes français trou
à rats, et
l’ours, référence à la fosse aux ours dans laquelle on jette
les prisonniers. Nous trouvons aussi l’allusion à la ressemblance avec la
cavité sombre: le caveau= verem,
ainsi que koporsó „cercueil” et kripta „crypte”, allusions non
seulement à l’obscurité de
la fosse, mais aussi à sa destination, comme le terme argotique hongrois
employé pour la prison végállomás
„terminus”, et à la température basse: être au frais=hűvösre kerül, hidegre tesz, être à l’ombre=árnyékra megy
dans le sens de chuter dans
l’argot hongrois. Pour désigner la prison on rencontre encore dans le hongrois
argotique le terme akvárium
„aquarium”, allusion au réservoir transparent où on élève les animaux. Il faut remarquer que
dans l’argot carcéral hongrois le terme medve „ours” désigne aussi, outre le surveillant, la
chaîne et la
laisse, tout comme döglánc
„chaîne de charogne”.
Poursuivant les figures créées pour nommer la
prison, qui ressemble aux compartiments de l’habitation d’une colonie
d’abeilles, avec, de l’extérieur ses petites fenêtres, et de l’intérieur ses
cellules, endroit où s’activent de nombreuses personnes, les
détenus emploient le terme ruche
correspondant littéralement au terme argotique hongrois
kaptár.
Cet enfermement, lorsqu’on est
coincé en français, mais „cousu”
„bevarrták” en hongrois, est aussi lié à
la maladie qui donne lieu à une série métaphoriques de verbes dans l’argot
français: être contaminé, être malade,
être fatigué, se faire mal, être à l’hôpital et à la clinique), tandis que dans
l’argot carcéral hongrois on ne trouve pour l’immobilité et la fainéantise que
le terme médical agyhártyagyulladás
„méningite”, ainsi que les termes euphémiques
nyaral „être en vacances” pour „être
en prison” et szanatórium „sanatorium” pour la prison même.
Pour tuer l’ennui les détenus essaient de
communiquer entre eux, ils ont le
téléphérique (élastique ou ficelle pour faire passer un objet d’un
bâtiment, d’une cellule à l’autre), équivalent du terme hongrois
liftező „ascenseur”. Ils essayent de cacher l’oeil de boeuf sur la
porte de la cellule, le rétro/viseur
dont l’équivalent hongrois est un terme onomatopéïque: kukucska, diminutif de „coucou”.
Dans les prisons françaises on appelle les repas avec le terme
gamelle avec une transposition
métonymique du nom du récipient dans lequel on met la soupe, correspondant au
terme argotique hongrois d’origine russe
csajka servant d’assiette de
soupe dans des camps. On trouve en même temps en Hongrie l’allusion au contenu de l’assiette
pour désigner les repas: c’est la nourriture
qu’on donne normalement aux animaux
takarmány „fourrage”.
Dans la hiérarchie des détenus nous avons les
„vrais” délinquants, les fers, qui
sont des gorilles „gorilla” et
empereurs „császár” en hongrois,
mais ceux qui font tout, toutes sortes de nettoyage, les
auxi(liaires) et les
gameleurs (qui servent les repas) sont appelés
csicska „larbin”,
bejárónö „employée de maison”,
mosónő „blanchisseuse”, komornyik
„valet de chambre” en hongrois. Le
prévot, le détenu à qui on a l’habitude de confesser, qui règle les
problèmes intimes parmi ses camarades, a son équivalent
dans le hongrois ügyész „procureur”
avec le verbe ügyészezés „jouer au
procureur”, dans le sens de „faire confesser”.
Les emplois métonymiques des détenus font allusion à la tenue des taulards: zebra= zèbre, csíkos „rayé”, csíkosmalac ”porcelet rayé” en hongrois (emploi métonymique et péjoratif du nom de l’animal faisant allusion aux rayures de l’uniforme du détenu), et le terme français drogué (allusion aux vêtements d’hiver cousu de la matière appelée „drogue”) correspond à posztó „feutre” hongrois. Cette même tenue est appelée en Hongrie mákosruha „tenue à pavot”, en relation certainement avec le mot composé „mákoscsík” „pâtes à pavot”, des pâtes sucrées (une spécialité hongroise, aimée par les enfants et sans effet secondaire garanti), dans lequel l’élément „csík” veut dire „rayure”.
3.2. Équivalences dans la traduction de l’argot des toxicomanes
Si l'on
regarde de plus près la répartition du lexique de l’argot criminel, on
constate que le plus grand nombre d'occurences concerne la question des
stupéfiants, témoignant de la plus grande vitalité de création des argotiers
dans cette catégorie de délinquants. C’est sans doute dû au fait que ce
phénomène touche de plus en plus d'individus, mais aussi parce que la loi
réprime son trafic, les mots utilisés pour désigner les produits se
renouvellent à un rythme plus accéléré que le lexique désignant d'autres
formes de délinquance. Ce vocabulaire, intelligible seulement par les groupes
des usagers, évolue très vite, on sait que le décryptage rapide appelle un
recryptage tout aussi rapide.
Ces
créations de ce langage plutôt technique sont également très imagées, ayant
des valeurs quelquefois plutôt cryptique que ludique. Il s’agit des mots
désignant la drogue elle-même ou la manière de la consommer, les diverses
substances, la dose et la manière de la préparer, la prise de la drogue et ses
effets, la recherche, l'achat ou l'abandon, le toxicomane et la seringue, et
tout ce qui tourne autour du trafic.
Ce phénomène prend en compte le caractère
social dans lequel le locuteur se trouve impliqué: si l’argotier est capable
d’une création riche lorsqu’il est en prison, c’est peut-être parce que, arrivé à ce stade, il ne lui
reste rien d’autre à faire et la création ainsi mise à l’oeuvre manifestera en
grande partie un caractère (crypto-)ludique fortement marqué.
Cependant
le petit toxico, le
dealer ou l’accro se
trouvent dans des conditions sociales extrêmement dures: il est difficile et
risqué de se procurer les narcotiques désirés. D’autre part, l’usage de la
came quand il devient une nécessité,
aboutit souvent à un état de dépendance dont on ne sort pas, dans la plupart
des cas, voire à la mort. Cette réalité sociale peut sans doute expliquer le
fait que les locuteurs, dans cette situation et dans cet état, n’ont peut-être
pas envie de jouer avec le langage. Il reste cependant nécessaire d’adopter
une forme cryptyque pour cacher leurs agissements, c’est pourquoi la forme et
la matière des produits prohibés appellent spontanément la métonymie ou la
synecdoque, figure qui met directement en relation le produit indispensable
consommé et la matière. Mais dès que ces usagers et les trafiquants se
retrouvent en prison, ils continuent à utiliser leur technolecte, transmettant
les items argotiques de ce contexte particulier aux autres détenus, ce qui a
une influence considérable sur l’argot carcéral. Par conséquent l’argot des
toxicomanes est largement intégré dans l’argot de prison.
En raison
de l'internationalisation du phénomène, les termes utilisés à l'intérieur de
ce champ sémantique circulent d'un pays à l'autre, comme les stupéfiants, et
viennent renforcer le lexique argotique de différentes langues, dont le
français et le hongrois, sous forme d'emprunts, soit en gardant leur forme
originale, soit en calquant en particulier l'anglo-américain. Pour la drogue on tourve p.ex.: matière=matéria, anyag,
mari-jean>mari-jeanne>mariska pour
la marijuana, H=há pour l’héroïne, coco=koko pour la cocaïne, speed=gyorsító pour les amphétamines
consommées comme drogue, junkie=dzsánki
pour l’individu dépendant de la drogue,
pusher=pusör pour le trafiquant (le pourvoyeur) de la drogue,
joint=dzsoint pour la cigerette de
haschisch, stamp>timbre=bélyeg pour
le LSD, se shooter=se piquer=szúr, bök,
benyom pour se droguer, trip=tripp,
utazás pour l’effet enivrant de l’usage de stupéfiant,
money>monnaie=mani pour l’argent,
buisness=biznisz pour l’achat.
En ce qui concerne la drogue elle-même, on
relèvera des métonymies, en désignant la matière dont elle est constituée ou sa
couleur (acid=acide=acid, sav, (et
aussi acidparty=eszidparti), blanche,
neige=hó, fehér hó (et aussi fehér
halál „la mort blanche”), brown
sugar=barna cukor, sucre=cukor, fehér cukor,
pasta=csiríz „colle de pâte” et gyurma „pâte à modeler”,
grass>herbe=grász, fű, gyep, powder>poudre, poussière=por,
dross>scories=sár, white>blanche=fehér
pour l’héroïne ou la cocaïne, snow>neige=hó „fehér hó” pour la cocaïne, ainsi que la forme de l’emballage et le mode de
conditionnement dans lesquels elle est livrée:
parachute=papír/sárkány „cerf-volant en papier” (référence
à la forme du
conditionnemnt et probablement aussi parce qu’on
plane=lebeg, elszáll),
paquet=pakett, csomag,
timbre=bélyeg.
Ce n’est qu’à propos des modes de consommation
et des effets qu’on peut constater des créations métaphoriques en particulier
utilisant les formes verbales, souvent empruntées de l’anglais, désignant
l’évolution physique et psychique du toxicomane:
se fixer= fixer (veut dire en
hongrois: maniaque de narcotique),
trip=utazás, faire un trip=utazik, betrippezett, I’m stoned>être
stone=sztondul, speed>se speeder=gyorsul, être dans le cosmos=űrkarriert
csinál, asztronauta, flash=avoir un flash=fles, fle/s/el, beflessel, beáll,
feel=feeling=filingel, et pour
avoir les symptômes de l’état de manque:
stop cold turkey>arrêter le poulet froid=Turkeyn vagyok, suivant la
rougeur de ceux qui se trouvent dans cet état (pulykavörös: rouge comme la
dinde).
Quant à l’utilisation de certains produits, on
notera des locutions verbales évoquant, à côté des figures métonymiques, une
belle transposition métaphorique: boire
à la source, dans le sens de se ravitaller chez le fournisseur, qui rentre
parfaitement dans l’univers imagé de ce parler qui donne le verbe hongrois
iszik „boire”, dans le sens de consommer une boisson contenant des
matières stupéfiantes comme le thé à pavot si populaire en Hongrie, et
acheter des timbres=bélyeget vesz
pour acheter du LSD.
4. En guise de conclusion
Ces tendances de création expriment donc bien
les rapports particuliers entre l’usager et sa manière spéciale de voir les choses. Cette
vision me paraît originale par
les modes de vie
excentriques qu’elle reflète. Ces transpositions sémantiques toujours vivantes
sont d’un grand intérêt linguistique, car elles nous renseignent sur l’origine
des mots, sur l’univers particulier, les moeurs, la mentalité et la vision des
choses des sujets parlants.
Ces changements sémantiques traduisent donc cette mutation constante
d'un vocabulaire qui joue avec le sens des mots, les images. La richesse du
lexique argotique paraît donc évidente. Elle témoigne bien de la vigueur de
cette langue qui crée sans cesse de nouvelles images, de nouveaux synonymes.
Ce lexique est aussi le miroir d'une langue argotique saisie à un moment
donné, et de ce fait il ne peut être exhaustif: la créativité des argotiers se
manifestant au gré du jeu de cryptage-décryptage qui permet à ce langage de
conserver toute sa vivacité.
Les cadres
de cette étude n’ont pas cependant permis d’embrasser l’ensemble du phénomène.
Dans ce bref aperçu général de la création argotique j’ai abordé le sujet des
tendances analogues de création argotique dans nos deux langues, sans
prétendre bien sûr à l’exhaustivité, puisque je me suis bornée en premier lieu
aux seules transpositions sémantiques: métonymiques et métaphoriques.
Tout ce
qui était écrit montre la vitalité de la créativité des argotiers, à quelque
catégorie qu'ils appartiennent. Les exemples typiques mentionnés permettent de
constater la difficulté de traduction de ces termes, faute d’équivalences
précises dûes aux cultures différentes et aux changements rapides. On a même
du mal à trouver des correspondances pour toutes les occurences. Ces termes ne
se traduisent vraiment pas littéralement, même si la situation et l’espace
d’utilisation de ce lexique sont pareils avec les mêmes personnes, les mêmes
objets et les mêmes activités visés par les créateurs. Ce terrain est donc
difficilement pénétrable, le contexte où il s’exprime, est souvent inintelligible, même ésotérique pour
les non-initiés.
Bibliographie:
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Payot.
CALVET, Louis-Jean (1994): L’Argot, Paris, PUF
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GOUDAILLIER, Jean-Pierre (1998): Comment tu tchatches,
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MÁTÉTELKI, Magdolna (2001): Étude lexicologique de
l’argot policier et criminel français
(thèse de doctorat),
Budapest, ELTE.
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(mémoire de fin d’études), Debreceni Egyetem.